MERCREDI 28 MAI 2025 — 21H15
Château Pallettes
17 rue Élie Gintrac, Bordeaux
Tarif : participation libre / gratuit pour les adhérent-e-s Monoquini
Ouverture des portes à 20h30.
SALAUD
(VILLAIN)
Un film de Michael Tuchner
GB / 1971 / couleur / 1h38 / vostfr
Scénario de Dick Clement et Ian La Frenais, avec la partcipation d’Al Lettieri, d’après The Burden of Proof de James Barlow
Musique : Jonathan Hodge
Avec Richard Burton, Ian McShane, Nigel Davenport, Donald Sinden, Fiona Lewis, T. P. McKenna…
Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie
— Londres, 1970. Vic Dakin est un racketeur qui n’hésite pas à employer les méthodes les plus dissuasives pour garder la main sur son territoire. Alors que la police est à l’affut d’un faux pas, il est mis sur un gros coup : le braquage d’un fourgon convoyant les salaires en espèces d’une importante entreprise. Il s’associe pour cela à un ancien complice, sans se douter que les événements pourraient prendre une tournure imprévisible.
"Salaud" – "Villain" dans l’original. Voilà un titre frontal qui peut prêter à sourire. Mais vous qui franchissez les portes de cette séance, soyez assuré que le sourire sera bientôt effacé par un rictus de malaise. Car finalement ce titre vous paraitra bien léger face au spectacle qui vous est présenté. D’autant plus que le bandit sadique interprété par un Richard Burton en grande forme s’inspire d’un personnage bien réel, Ronnie Kraye qui, avec son frère jumeau Reggie, fut une des figures importantes du crime organisé en Grande-Bretagne dans les années 50 et 60. Diagnostiqué schizophrène paranoïde après avoir été condamné en 1967 à la détention à perpétuité, la réputation de Ronnie en a fait un individu particulièrement craint, qui a infusé la culture populaire britannique.
Au début des années 70, la fête psychédélique et le liberté sexuelle d’un Swinging London fantasmé a laissé place à la débauche, à la corruption et au chantage. En programmant THE BLACK PANTHER de Ian Merrick en janvier 2017, nous rappelions que depuis le courant "néo-réaliste" fondé par John Grierson à la fin des années 20 en passant par l’émergence du Free Cinema en 1956 jusqu’à nos jours et les films de Ken Loach et Mike Leigh notamment, une des caractéristiques du cinéma britannique était son attachement au réel, puisant avec constance à la source documentaire. La vague de polars poisseux inaugurée en 1971 par GET CARTER (La Loi du Milieu) de Mike Hodges confirmait d’une certaine façon cette tendance par le biais de sujets proches de l’actualité traités avec un réalisme blafard, la grisaille des quartiers déshérités des villes industrielles du Nord en constituant le plus souvent le décor. Des cinéastes mal embouchés portent durant cette décennie un éclairage cru et désabusé sur une Angleterre sans rêve ni aspiration, au quotidien maussade et étriqué. No future.
Paradoxalement, ce sont deux réalisateurs américains qui en livrent la vision la plus sombre, dénuée de tout sensationnalisme, terrifiante dans leur description de la psychose de l’homme du commun : Sidney Lumet, avec THE OFFENCE et son inspecteur de police au bord de la folie (Sean Connery à contre-emploi), et Richard Fleischer dont L’ETRANGLEUR DE RILLINGTON PLACE relate les méfaits du tristement célèbre John Christie, tueur en série qui fit inculper et condamner à mort un innocent.
VILLAIN de Michael Tuchner ne déroge pas à la règle et s’inscrit magistralement dans ce noir sillon. Il est même la matrice d’un genre teigneux qui n’a rien à envier aux maitres du film noir américain. Si on est tenté d’y trouver un clin d’œil plus que louche à L’ULTIME RAZZIA de Kubrick, son traitement rugueux le rapproche davantage du Friedkin de LOS ANGELES, POLICE FÉDÉRALE, avec ses personnages torves et surtout de par une scène de braquage routier d’anthologie, digne d’être passée au crible par tout réalisateur ou amateur de film d’action. Et puisqu’on évoque Kubrick, 1971 est aussi la date de sortie d’ORANGE MÉCANIQUE qui enfonce le clou dans le cercueil d’un monde dit civilisé où l’ultra violence est un divertissement comme un autre.
"Le crime n’est après tout qu’une forme abâtardie de l’entreprise humaine". Cette réplique de Louis Calhern dans QUAND LA VILLE DORT de John Huston s’applique parfaitement au film de Tuchner. La bienséance de surface, le fil ténu des relations en société, ces apparences se fissurent et se brisent en un regard quand il s’agit de bien faire comprendre où sont les intérêts, qui ne reposent que sur l’extorsion et la terreur. Curieusement, l’adaptation du roman de James Barlow (inédit en France) est signée par un duo de scénaristes bien connus pour leurs comédies télévisées (d’où certainement la touche d’humour très noir) que vient rehausser par son expérience dans le milieu de la pègre new-yorkaise la présence d’Al Lettieri, signalé par ses rôles de dur dans LE PARRAIN de Coppola et THE GETAWAY de Peckinpah. Une touche d’authenticité donc, honorée par un casting d’enfer, à commencer par un Richard Burton dont les yeux n’ont jamais été aussi perçants, en chef de gang implacable mais fils à maman et homosexuel en privé. Burton avait déjà interprété le rôle d’un coiffeur homo dans la comédie de Stanley Donen, STAIRCASE, écornant son image de Don Juan notoire, et le cocktail cockney fortement épicé de VILLAIN fut peu goûté par la critique et le film fit flop au box office. Au milieu d’une galerie pittoresque d’hommes de main, de petites frappes et d’indics, Ian McShane en pourvoyeur de plaisirs divers (proxénète, dealer), amant abusé plus que consentant de Vic, et Nigel Davenport en inspecteur opiniâtre, tirent largement leur épingle du jeu. De Michael Tuchner, dont la carrière par la suite s’effrita en réalisations quelconques, on peut affirmer que sa mise en scène nerveuse place son premier long métrage pour le cinéma dans le Top 10 des films de truands, autant dire que c’est une pierre de touche pour le genre. VILLAIN est un film à ne pas manquer. De gré ou de force.
— Bertrand Grimault
RETROUVEZ-NOUS SUR LUNENOIRE.ORG
_________________________________________________________________________________________
Un événement proposé par l'association Monoquini.
_________________________________________________________________________________________