DIMANCHE 26 JANVIER 2020 — 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarifs : 7€ par séance ou Ticket abonnement / 9€ les 2 séances





SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN


(Sei Donne per l'Assessino)
Un film de Mario Bava

Italie, 1964, couleur, 1h28, VOSTF

Avec Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner…

Version restaurée
Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie

Maison de haute-couture de grande renommée, l’atelier « Christian » s’apprête à lancer sa nouvelle collection. Alors que sa directrice, la fortunée Comtesse Como tient tout son petit monde – stylistes, couturières, mannequins – d’une main de fer, un meurtre a lieu. Ce n’est que le premier d’une longue série, perpétrée par un tueur énigmatique et masqué, dont les crimes révèleront peu à peu la réalité scabreuse tapie derrière les oripeaux du luxe de cette grande et respectable maison.

Après une première carrière de plus de 20 ans qui l’aura vu devenir l’un des chefs-opérateurs les plus demandés d’Italie (ses collaborations vont de Roberto Rossellini à Raoul Walsh en passant par Ricardo Freda et Dino Risi), Mario Bava accède à la réalisation en 1960 avec LE MASQUE DU DEMON, un conte gothique fortement teinté d’expressionisme, au noir et blanc somptueux et à la charge poétique incontestable qui lancera pour près d’une décennie le genre du Gothique Italien, sorte d’appropriation latine des productions anglaises Hammer. Après un premier essai vers un cinéma plus Hitchcockien en 1963 avec le bien nommé LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP dans lequel il pose déjà certaines bases, c’est l’année suivante qu’il réalise un autre film éminemment séminal et dont l’influence n’a cessé de grandir jusqu’à aujourd’hui : SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN.

Premier Giallo officiel de l’histoire du cinéma, celui-ci pose en effet à la fois les bases dramatiques et stylistiques de ce genre qui engendrera plus d’une centaine de films en quinze ans, dont certains chefs-d’œuvre comme LES FRISSONS DE L’ANGOISSE de Dario Argento et, de l’autre côté de l’atlantique, PULSIONS de Brian De Palma. Si ces deux « modernes » auront amené le Giallo vers des horizons plus psychanalytiques et réflexifs, ils l’auront fait avec les armes polies par Bava une décennie avant eux : ambiance paranoïaque, tueur masqué et ganté de cuir, fétichisme morbide et sexuel, meurtres sanglants et brutaux perpétrés à l’arme blanche et dont le temps semble se dilater à l’intérieur du récit, le tout servant de canevas à une mise-en-scène toute puissante, flamboyante et baroque à l’intérieur de laquelle les éclairages et les couleurs jouent un rôle prépondérant. Une sorte de manifeste érigeant la domination du style sur la substance, de la forme sur le fond… pour sans cesse questionner la dichotomie illusion/réalité. Résultat : plus de cinquante ans après sa réalisation, on ne peut qu’être frappé par l’audace et la maîtrise visuelle de Bava qui, avec un sens du raffinement particulièrement sadique, nous invite à suivre son récit criminel dans une débauche de plans inventifs, comme autant de tableaux vivants composés à l’aide de couleurs franches et saturées, et dans lesquels la caméra semble s’offrir le plus totale liberté de mouvement. Un véritable festin pour les yeux, qui devient dans son maniérisme même le vecteur parfait de la vision ironique, cruelle et misanthrope de Bava sur la bourgeoisie de son époque mais surtout sur l’humanité en général. Récit sordide présenté dans un écrin de velours, SIX FEMMES POUR l’ASSASSIN continue aujourd’hui encore de fasciner et d’inspirer, son écho résonnant toujours dans les films de Nicolas Winding Refn ou Gaspar Noé.

— Mathieu Mégemont

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia et Radio Nova Bordeaux, avec le concours du Théâtre du Temple.
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DIMANCHE 23 FÉVRIER 2020 — 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarifs : 7€ par séance ou Ticket abonnement / 9€ les 2 séances


IN FABRIC

Un film de Peter Strickland

Grande-Bretagne, 2019, couleur, 1h53, VOSTF

Avec Marianne Jean-Baptiste, Léo Bill, Hayley Squires, Gwendoline Christie, Steve Oram, Julian Barratt…
Musique de Cavern of Anti-Matter

Nombreux prix (réalisation, scénario, jury et public…) dans des festivals du film fantastique (Strasbourg, Calgary, Austin, Lyon, Les Arcs…)

— La boutique de prêt-à-porter Dentley & Soper’s, son petit personnel versé dans les cérémonies occultes, ses commerciaux aux sourires carnassiers. Sa robe rouge, superbe, et aussi maudite qu’une maison bâtie sur un cimetière indien. De corps en corps, le morceau de tissu torture ses différent(e)s propriétaires avec un certain raffinement dans la cruauté.

En trois longs-métrages - KATALINA VARGA, BERBERIAN SOUND STUDIO, THE DUKE OF BURGUNDY - Peter Strickland a forgé une œuvre hybride, dont le mélange de fantastique et d’abstraction permet de risquer un rapprochement hâtif avec un certain David Lynch. Les motifs découlant du cinéma d’exploitation, de la série B d’antan ou du cinéma Bis, constituent pour Strickland, comme pour un certain nombre de réalisateurs contemporains, un réservoir d’images à décanter pour en extraire une vision toute personnelle, laissant libre court à l’expérimentation narrative. IN FABRIC, premier film réalisé en Angleterre par ce cinéaste britannique installé en Hongrie, poursuit cette orientation en y insufflant ici une dimension sociale critique.
La figure centrale du film est une robe rouge vénéneuse et indestructible, qui portera malheur à ceux qui l’acquièrent : Sheila, une employée de banque divorcée, guettant les petites annonces de rencontre à la recherche de l’âme sœur, puis Reg, un réparateur de machines à laver humilié par ses collègues, en passe de se marier avec la fille de l’un d’eux.
Le motif balzacien, d’inspiration surnaturelle, de l’objet maléfique qui circule de main en main est récurent dans le cinéma d’épouvante, et le vêtement ensorcelé d’IN FABRIC, sorte de variation de LA ROBE du réalisateur néerlandais Alex van Wamerdam couplée à la ROBE DE SANG de Tobe Hooper qui brodaient sur le même thème, tire le fil cinématographique de la robe rouge comme symbole du désir — et du danger.
Il suffit d’imaginer la vie d’un vêtement de seconde main au travers de ses divers propriétaires, des morts aux vivants, pour lui conférer une aura particulière, ce qui incline Peter Strickland à définir IN FABRIC plutôt comme un film de fantômes.
Le décor flamboyant de la sinistre boutique de prêt-à-(re)porter souligne l’ironie d’un film qui est à la fois une satire du consumérisme et la célébration fétichiste de la marchandise par le rituel de la vente et du shopping, comme un écho pas si lointain aux zombies errant dans le centre commercial de DAWN OF THE DEAD de George Romero.

Le récit gravite donc autour d’un grand magasin aux mystérieuses coulisses, dont les vendeuses, mi-Parques mi-sorcières régnant sur le destin des humains, s’adressent aux clientes à coups d’aphorismes emphatiques et de formules ésotériques. Les pathétiques héros du film, pris dans les filets d’une vie décevante et sans qualité, sont ainsi le jouet d’un ordre secret symbolisé par le magasin et les promesses d’un assouvissement de leur désir profond.
En s’amusant à mêler divers registres, passant du comique à l’effroi,
IN FABRIC confronte la banalité de certains personnages à la bizarrerie des comportements d’autres, inquiétants par leur étrangeté, silhouettes venant contrarier la trivialité des situations mises en place. Le film est un voyage intérieur, une hallucination qui ne perd pourtant jamais complètement de vue l’existence concrète et le monde social de ses protagonistes, victimes sacrificielles d’une malédiction sans but ni raison.

Fantaisie conceptuelle, plongée cauchemardesque, le film de Peter Strickland vient rappeler à quel point l’imaginaire cinématographique le plus débridé n’a de prix que lorsqu’il ne perd jamais de vue l’expérience humaine.

(Merci à Jean-François Rauger).

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia et Radio Nova Bordeaux, avec le concours de Tamasa.
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JEUDI 17 SEPTEMBRE 2020 — 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarifs : 7€ par séance ou Ticket abonnement


LES RÉVOLTÉS DE L'AN 2000
(¿Quién puede matar a un niño?)

Un film de Narciso Ibañez Serrador
Espagne / 1977 / coul / 1h40 / vostf

Avec Lewis Fiander, Prunella Ransome, Antonio Iranzo, Miguel Narros, María Luisa Arias, Marisa Porcel et les enfants…
Scénario de Luís Peñafiel d’après le roman «El juego de los niños» de Juan José Plans.

Version intégrale restaurée

Séance présentée par Loïc Diaz-Ronda,
co-directeur du Festival Cinespaña de Toulouse et spécialiste du cinéma fantastique ibérique

Tom et Evelyn, un jeune couple anglais en voyage d’été dans le sud de l’Espagne, décident de louer un bateau et de séjourner loin de l’agitation touristique sur la petite île d’Almanzora. Ils accostent dans un village déserté où ne semblent vivre que des enfants au comportement étrange. Ils découvrent bien vite que les adultes ont été décimés l’un après l’autre…

Le cinéma fantastique espagnol connait à la fin des années 60 et au début des années 70 une période faste. Dans un pays où n’arrive qu’une faible portion de ce qui se crée mondialement en raison de la censure, l’industrie du cinéma ibérique fournit aux autochtones le frisson des contrefaçons en produisant d’inoffensifs films dits de fantaterror. Loups-garous testostéronés, chevaliers templiers zombies, aristocrates fétichistes fondus de science et vampiresses méridionales rejouent alors parodiquement le bestiaire de la Hammer pour l’Européen de seconde zone... Parallèlement, une poignée d’auteurs, attirés par les débouchés professionnels, créeront une série de films fascinants qui contribueront à redéfinir la notion même de fantastique. Pour Vicente Aranda, Victor Erice, Jordi Grau, Pedro Olea, Carlos Saura ou Gonzalo Suarez le fantastique est une variation fantasmatique du quotidien, dans laquelle rêve et expérience, analyse sociologique et délire temporel, apparitions fantomatiques et refoulé historique se confondent. Les chemins du fantastique espagnol semblent alors se diviser entre le pillage d’une mythologie décadente et un cinéma métaphorique ou codé, situé à la périphérie du genre.

Il y a cependant une exception en la personne de Narciso « Chicho » Ibañez Serrador. Enfant de la balle, acteur précoce, dramaturge et scénariste sous le nom de Luis Peñafiel, réalisateur de télévision, homme d’affaires, aventurier et, pour finir, cinéaste culte auteur de deux uniques long-métrages. Avant tout, Ibañez Serrador est le créateur de Historias para no dormir, série qui impose le fantastique et la science-fiction à la télévision espagnole en 1966-67, et qui marquera l’enfance de toute génération hispanique, parmi lesquels se comptent de futurs cinéastes tels Alex de la Iglesia, Guillermo del Toro ou Jaume Balaguero. Fort de ses prouesses sur le petit écran, Chicho réalise à la fin des années 60 son premier film, La Residencia (1969), un très élégant conte gothique teinté de sadisme et d’une sophistication plus propre au giallo qu’au fantaterror. Malgré le succès très important du film, Chicho ne reviendra derrière la caméra que six ans plus tard pour diriger le mythique ¿Quien puede matar a un niño?, œuvre âpre, apocalyptique et choquante, qui sera son chant du cygne au cinéma. Pourquoi celui qui aurait pu devenir le Polanski, le Romero ou l’Argento ibérique s’éclipsa-t-il ensuite ? Mystère…

Qu’y a-t-il donc de si captivant dans ¿Quien puede matar a un niño? Au-delà du postulat de départ, qui s’inscrit dans une tradition d’œuvres dystopiques sur l’enfance sauvage, c’est le traitement du film qui présente le plus d’originalité. Chicho semble s’amuser à convoquer toutes les règles du genre pour mieux les contrecarrer. Le film est ainsi presque entièrement trempé à la lumière écrasante d’un soleil de plomb, parfait antidote aux ombres du cinéma d’horreur. Grâce à un découpage subtil et à des mouvements de caméra amples et immersifs, Ibañez Serrador parvient à distiller une angoisse presque insoutenable sans effets tonitruants. Ce qui éloigne le cinéaste de ses compatriotes du cinéma « métaphorique » est son attachement au classicisme du récit, dont il maîtrise parfaitement les ressorts, et qui le place dans le sillage des cinéastes hollywoodiens, Hitchcock en tête. Son approche des enfants, perçus comme une masse mutique toujours plus dense et oppressante, comme un organisme liquide aux mille visages se mouvant à l’unisson, évoque bien entendu Les oiseaux (1963) et contribue grandement à l’efficacité d’un film dont on ne ressort pas indemne. Le monde d’après, semble-t-il dire, ne sera pas nécessairement meilleur puisque l’ange exterminateur pourrait avoir les traits d’un enfant.

— Loïc Diaz-Ronda

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia et Radio Nova Bordeaux, avec le concours de Carlotta.
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DIMANCHE 18 OCTOBRE 2020 — 20H45
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarifs : 7€ par séance ou Ticket abonnement


ÂMES PERDUES
(Anima Persa)
Un film de Dino Risi

France-Italie / 1977 / coul / 1h40 / vostf

Avec Vittorio Gassman, Catherine Deneuve, Anicée Alvina…

Version restaurée

— Tino, un jeune homme timide, est accueilli, le temps de ses études de peinture, par son oncle et sa tante, le sévère ingénieur Fabio Stolz et son épouse maladive, Elisa, dans leur vieux palazzo de Venise à la splendeur décatie. Le garçon découvre rapidement l’existence d’un hôte inconnu, présenté comme le frère de l’ingénieur, un ancien professeur de sciences naturelles devenu fou, qui mène, cloitré sous les combles, une vie purement végétative et animale. Par leurs demi-confidences, la tante et l’oncle excitent délibérément la curiosité de leur neveu, révélant petit à petit un secret scandaleux.

Dino Risi s’est fait la réputation, justifiée, d’être un des maîtres de la comédie à l’italienne, mais au cours de sa prolifique carrière, il a également signé quelques films à la marge et difficilement définissables, dont ces ÂMES PERDUES qu’il a co-écrit avec Bernardino Zapponi, fidèle collaborateur de Fellini et co-scénariste entre autres des FRISSONS DE L’ANGOISSE de Dario Argento.
Sans rompre avec les extravagances typiques des satires féroces de Risi, nous pénétrons dans un drame décadent, une sorte de mélo gothique, un conte de fées déviant se nourrissant de l’atmosphère particulière de Venise. La ville, cette « vieille femme à l’haleine fétide », s’impose au spectateur comme un lieu figé dans le passé, peuplé de fantômes, comme une nécropole rongée par la pourriture. Quant au palais délabré, labyrinthe aux escaliers secrets, aux corridors poussiéreux et aux pièces abandonnées, il devient le théâtre d’une curieuse et inquiétante tragédie bouffonne.
Le roman d’origine, écrit par Giovanni Arpino, également auteur de PARFUM DE FEMME que Risi a adapté avec succès en 1975, se situait à Turin. Le choix du décor vénitien déserté, entre canaux putrides et venelles lépreuses, dont l’envers ne vaut guère l’endroit (les égouts, l’asile d’aliénés, les tripots sordides), contribue pleinement à la dimension morbide du récit, frayant avec le thriller et le film d’angoisse.

Risi nous présente ainsi son film :
« Nous voyons un homme qui vit deux vies différentes : une vie de jour et une vie de nuit, une vie intérieure et une vie extérieure, une vie qu’il mène selon les règles d’un certain type d’éducation (ici celle d’une vieille famille bourgeoise autrichienne) et son âme secrète, diabolique. Ce que j’ai souligné, et qui n’était qu’effleuré dans le livre, c’est la représentation de cette solitude noire, profonde et absolue d’un homme qui n’arrive pas à communiquer ».

C’est Vittorio Gassman, fidèle compagnon de route du réalisateur, qui incarne l’ambivalente figure de l’ingénieur cultivé et cruel qui se donne constamment en spectacle, d’abord en privé puis dans sa participation à d’autres rites collectifs ou dans ses improvisations voire dans cette sorte d’usage consacré qu’est la dilapidation de la fortune de sa femme dans une salle de jeux clandestins. L’acteur, comme sorti d’un roman de Dostoïevski, jonglant avec la rationalité froide et répressive du bourgeois et la folie déchaînée, livre une prestation fascinante, démontrant par l’absurde l’entière vanité des apparences.

Quant à la diaphane Elisa interprétée par Catherine Deneuve, « belle de jour » rêveuse et un brin masochiste, elle semble échappée d’un film de Buñuel. L’insolite complicité qui lie les deux époux atteindra in fine une dimension cathartique, refermant la porte de la mystérieuse demeure sur un accord retrouvé au-delà du désespoir et de la folie.

MERCI NOVA !

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia et Radio Nova Bordeaux, avec le concours des Acacias.
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