SIGMA / CINÉMA


Programmation proposée par Monoquini
en partenariat avec le Cinéma Utopia


dans le cadre de l'exposition SIGMA
CAPC Musée d'art contemporain de Bordeaux
14.11.2013 -> 02.03.2014

www.capc-bordeaux.fr



Outer Space de Peter Tscherkassky, projeté le 14 janvier






Introduction


Festival transdisciplinaire, SIGMA fit dès sa fondation une large place au cinéma. Sous la férule de Philipe Bordier, disparu le 7 janvier 2013, la programmation vit se côtoyer à partir de 1965 les cinéastes émergents et les films les plus novateurs, les plus aventureux, les plus originaux de leur temps. SIGMA fut aussi le lieu de la découverte du cinéma expérimental américain des années 60 - celui de Jonas Mekas, Andy Warhol, Ron Rice, Taylor Mead, George et Mike Kuchar notamment - ce qui fit dire au critique Jean-Pierre Bouyxou qu'en 1968, "la capitale de l'underground en France, c'était Bordeaux". Ce qui distingue la démarche du pionnier Philipe Bordier et des programmateurs qui lui ont succédés, c'est la pluralité des genres, le goût de la recherche, la curiosité mêlant les filmographies des cinq continents, les classiques, les inclassables, le cinéma militant, sans oublier le Bis, les séries Z et les nanards. Nul cloisonnement donc, mais un regard croisé et critique sur les formes multiples du cinéma.

Il serait tentant de puiser dans la richissime programmation du festival SIGMA entre 1965 et 1988, parmi les films devenus rares, pour certains invisibles depuis longtemps. Plutôt que de procéder à un tel choix rétrospectif, et nécessairement restrictif, il semble plus intéressant dans le contexte présent d'interroger la notion d'archive comme matériau prospectif, comme support d'investigations poussées, comme matière première d'un cinéma contemporain.

Qu'il s'agisse d'assembler les bribes d'un événement novateur entre art et technologie filmées en 1966 à l'Armory Show à New York, de témoigner de l'influence et des inventions des éclaireurs du cinéma expérimental, domaine à l'actualité toujours éclatante, ou d'interroger les aspects méconnus de la production d'un philosophe clé dans la pensée des années 70 et 80, ce sont des limbes de films inachevés, rescapés ou en devenir que nous souhaitons partager ici.

Les propositions qui suivent font donc appel à un matériau pré-filmique ou filmique préexistant que des cinéastes-chercheurs se sont appropriés non pas pour le célébrer, mais pour le réactiver, lui redonner un sens au regard des enjeux et des préoccupations de notre temps.






ARCHIVE 1

Lundi 13 janvier 2014 à 21h
Cinéma Utopia





Experiment in art and technology
9 EVENINGS : THEATER AND ENGINEERING :


KISSES SWEETER THAN WINE / Öyvin Fahlström
VARIATION VII / John Cage



Deux films réalisés par Barbro Schultz-Lundestam
Projection en présence de la réalisatrice.



9 evenings, theatre and engeenering est une série de performances combinant théâtre, danse et image présentée au 69th Regiment Armory de New York de 13 au 23 octobre 1966, sous l’égide de Billy Klüver et de Robert Rauschenberg.
Dans l’objectif de créer des œuvres impliquant des technologies nouvelles, Bell Telephone Laboratories innovait en faisant collaborer trente scientifiques et ingénieurs avec des artistes new yorkais, tels John Cage, Robert Rauschenberg, David Tudor, Öyvind Fahlström, Lucinda Childs, Yvonne Rainer, etc...
Ces différentes expériences venaient conclure, pour un temps, le foisonnement créatif du mouvement dit de la Judson Church des années 50 et 60 à New York. Parallèlement aux danseurs et aux chorégraphes, les compositeurs inventaient de nouvelles formes de composition et de performance, en y incorporant notamment des instruments insolites.
Par dessus tout, les 9 evenings demeurent célèbres pour leur incroyable richesse créative. Ce fut un essai délibéré, de la part de ces dix artistes, d’explorer la possibilité de collaborer avec des ingénieurs, et ce fût aussi l’occasion d’utiliser pour la première fois au théâtre, des techniques de pointe (vidéo, circuits fermés de télévision, caméras infrarouges, télécommandes...).
Cette expérience fut à l’origine de la création d’Experiments in Art and Technology, E.A.T., fondé par les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer, et les artistes Robert Rauschenberg et Robert Whitman, avec l’intention de rendre accessible à l’ensemble de la communauté artistiques les nouvelles technologies développées dans les laboratoires et autres organismes de recherche. Pour E.A.T. l’égalité et l’équilibre de travail entre l’artiste et l’ingénieur étaient primordiales.

Les 9 evenings ont été filmées par l’artiste suisse Alfons Schilling, photographiées par Peter Moore, Robert McElroy et Franny Breer. Un film en couleur et des diapositives furent également réalisés par Bell Laboratoires. Documentation filmique disparue pendant plus de trente ans, la réalisatrice Barbro Schultz Lundestam nous en livre les archives restaurées en collaboration avec E.A.T, accompagnées d’entretiens avec les protagonistes de cet événement historique.


KISSES SWEETER THAN WINE / Öyvin Fahlström
(États-Unis-France-Suède, 2010, DVD, couleur, vostf, 71 min.)

Les 21 et 22 octobre 1966, la performance de Öyvind Fahlström, Kisses sweeter than wine lançait ses emprunts à la science, à la science-fiction, à la bande dessinée contre la guerre du Vietnam, tout en parachevant le tout avec le titre d’une célèbre chanson d’amour des années 50.
La performance se divise en neuf parties composées de plusieurs saynètes collées bout à bout, sans continuité narrative. Elle met en scène des personnages d’autistes capables d’effectuer simultanément plusieurs calculs mentaux. Fahlström établit un parallèle entre ces sujets dépourvus de facultés intellectuelles normales, mais dotés de capacités de mémorisation supérieure, et l’utopie d’une machine universelle (l’ordinateur). En accumulant des références à l’actualité, il formule également un commentaire ironique sur les liens d’interdépendance entre la technologie et le militaire (la guerre du Vietnam est alors à son apogée). Fahlström emploie un système de diffusion vidéo, des magnétophones et divers projecteurs (film, diapositive) pour fragmenter la représentation théâtrale. Il crée ainsi des effets scéniques avec la technologie autant qu’il en fait un enjeu thématique.
Source et compléments : http://www.fondation-langlois.org/


Ressources :


"Öyvind Fahlström : archives et jeux de société"
Texte de Brian Holmes paru dans Omnibus Hors série octobre 1997


Le site dédié à Öyvind Fahlström




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VARIATION VII / John Cage
(États-Unis-France-Suède, 2008, DVD, n&b, vostf, 30 min.)

"Pour Variations VI, John Cage voulait utiliser des sons pris en direct pendant la performance. Dix lignes de téléphones furent donc installées dans l'Armory par la compagnie de téléphone de New York. Ces lignes étaient reliées à différents endroits de New York, comme le restaurant Luchow, une volière, la station électrique de Con Edison, l'ASPCA, chenil de chiens abandonnés, la salle de presse du New York Times, ou encore le studio de Merce Cunningham. Des micros aimantés fixés sur les récepteurs téléphoniques alimentaient les diverses sources sonores du système. Cage avait aussi placé 6 microphones de contact sur l'estrade installée pour sa performance, et 12 autres sur des robots ménagers tels que mixer, grille-pain, ventilateur, etc. Il y avait aussi 20 canaux de radios, 2 canaux de télévision, et deux compteurs Geiger. Les oscillateurs et générateurs complétaient les sources sonores. Trente cellules photoélectriques et des lumières étaient disposées à hauteur des chevilles autour de la scène de la performance, et commandaient les diverses sources sonores en fonction des mouvements des performers. Cage invitait les spectateurs à se déplacer librement et beaucoup se tinrent près de la scène de la performance." (Billy Klüver)


Ce film utilise des archives visuelles et sonores dans l'objectif de présenter la performance de Cage de la façon la plus complète possible. Avec la participation de Billy Klüver, Merce Cunningham, David Behrman, Terry Riley...





ARCHIVE 2

Mardi 14 janvier 2014 à 21h
Cinéma Utopia





Pratiques courantes à l'ère de la reproduction numérique mais aussi tradition avant-gardiste, l'emploi d'archives filmiques dans la production artistique contemporaine et le détournement de sources préexistantes affirment la puissance esthétique du cinéma. Ces emprunts visent souvent à dépasser le matériau d'origine en lui conférant une nouvelle dimension critique, plastique ou narrative. Cette séance de courts métrages aborde sur des modes variés et originaux - du documentaire à l'expérimentation formelle - la vie seconde des images, soumises à l'investigation, la manipulation, l'hybridation.




Au programme :



HOLLYWOOD MOVIE
de Volker Schreiner
(Allemagne, 2012, HD, couleur, vostf, 7 min.)
" You can make any Hollywood movie interesting, if you cut the movie several times - cut it, cut it, cut it - and splice it again or turn the light on now and play cheap radio in your seat. Project without film, so we can enjoy the dust in the air."
Inspirée par un texte de Nam June Paik ("Film scenario"), une magistrale leçon de cinéma expérimental avec un casting de rêve, réuni grâce à un montage obsessionnel et virtuose.





UNE HISTOIRE POUR LES MODLINS
de Sergio Oksman
(Espagne, 2012, HD, couleur, vostf , 26 min.)
Un soir d'été 2003 à Madrid, le photographe Paco Gomez tomba sur un amoncellement de cartons, remplis de vieux vêtements, de livres, de papiers divers, jetés sur le trottoir. En collectant des photos et des lettres parmi ces rebuts, il sauva alors de l'oubli des fragments de la fascinante histoire de la famille Modlin. Il s'engagea dès lors à reconstituer le parcours de cette famille américaine exilée, et à redonner chair à la vision sur l'art et la vie qui les animait, jusqu'à la folie.
Si vous revoyez Rosemary's Baby de Roman Polanski, vous apercevrez furtivement lors de la cérémonie finale des voisins satanistes de Mia Farrow la silhouette d'un grand type souriant. Il se nomme Elmer Modlin. Non crédité au générique, cet homme a tenté une carrière à Hollywood, sans aucun succès. Avec sa femme Margaret, artiste peintre, et leur fils Nelson, ils partirent s'installer loin des studios Californiens, à Madrid. Sombrant dans un délire mystique mis en scène par les toiles apocalyptiques de Madame Modlin, ils vécurent reclus pendant trente ans dans le même appartement aux volets clos, transformé en musée.
Partant des archives collectées par Paco Gomez, le réalisateur Sergio Oksman propose de reconstituer l'histoire de l'étrange famille.





UNE TROISIÈME VERSION DE L'IMAGINAIRE
de Benjamin Tiven
(Kenya / États-Unis, 2012, HD, couleur, vostf, 12 min.)
La vidéo est un support amnésique. Le film, lui, se souvient de ce qu'il a vu, moyennant un coût élevé de production. Mais pour être préservée, une image doit être remarquable ou témoigner d'une transition technologique.
Dans un lieu qui fait office de cinémathèque à Nairobi, guidé par un responsable des lieux, on suit la présentation d’archives tournées au Kenya. Des difficultés objectives de conservation, on passe soudain à d’autres. La question de la langue, de la représentation telle que la langue Swahili la formule à des motifs liés à la censure, c’est le lien entre image, langage et censure qui se font jour. Et de cet ensemble complexe, Benjamin Tiven n’en fait jamais le sujet — mais la matière même de son propre film fort judicieusement énigmatique.


http://www.benjamintiven.com/





SILVER
de Takeshi Murata
(USA , 2006, DVD, n&b, 10 min.)
Les vidéos de Takeshi Murata évoquent une masse bouillonnante de données numériques corrompues, où la figuration s'estompe au profit d'une picturalité fascinante que la technologie n'avait pas prévue. Il s'agit pour l'artiste d'un processus long et précis, intervenant sur chaque image, qui produit une altération censée restituer une vision hallucinatoire. Avec Silver, Murata soumet à de violentes distorsions digitales un extrait d'un classique du film d'épouvante italien, "Le masque du démon" de Mario Bava (1960). Accompagnée d'une composition sonore de Robert Beatty et Ellen Molle, l'égérie du film gothique transalpin, Barbara Steele, se déplace dans des espaces sans cesse recomposés, sorte d'ectoplasme en vaine quête d'une forme stable, où la matière argentique du support original le dispute à la versatilité du numérique.





ZUSE STRIP
de Caspar Stracke
(USA, 2003, DVcam, couleur et n&b, vostf, 8 min.)
Dans cinq mille ans, des scientifiques vénusiens découvrent sur la Terre dévastée un fragment de pellicule cinématographique qui a traversé l'âge de glace et fait l'objet d'interprétations archéologiques fantasques.
La désuétude est le refoulé de l'innovation. Comment le savoir du passé sera-t-il conservé et transmis si les informations sont encodées dans des systèmes obsolètes ?
Le titre de Zuse Strip s'inspire du premier ordinateur conçu en 1941 par l'ingénieur allemand Konrad Zuse, un calculateur programmable binaire qui fonctionnait grâce à des bandes de films perforées.





MIRROR MECHANICS
de Siegfried F. Fruhauf
(Autriche, 2005, 35mm, n&b, 7 min.30)
Une courte séquence empruntée à un film anonyme, montrant une jeune femme sur une plage sortant de l’eau, se trouve manipulée en un jeu de reflets et de permutations alors qu’elle fait face à un miroir pour se coiffer. L’image panoramique se déploie et se replie en une chorégraphie de gestes symétriques, en une créature filmique fascinante et inquiétante.





OUTER SPACE
de Peter Tscherkassky
(Autriche, 1999, 35mm, n&b, 10 min.)
Empruntant à un autre film d'épouvante ("L'emprise" de Sidney J. Fury, 1983), Tscherkassky transgresse les limites mêmes du support filmique en mettant en scène la lutte de l'actrice contre une entité invisible qui la violente. Ici c'est le film, la pellicule, le cadre de l'image qui sont le carcan dont il faut se délivrer et le cinéaste opère une déconstruction spectaculaire et unique dans l'histoire du cinéma.




Durée de la séance : environ 1h15
Séance présentée par Bertrand Grimault







ARCHIVE 3

Vendredi 17 janvier 2014 à 21h
Cinéma Utopia








IN SEARCH OF UIQ
Un film de Graeme Thomson & Silvia Maglioni
(France-Italie-GB, 2013, DCP, couleur et n&b, vostf, 72 min.)

Séance en présence des réalisateurs


« On se demande toujours s’il n’existerait pas de la vie ou de l’intelligence sur d’autres planètes, quelque part dans les étoiles… mais on ne se pose jamais de questions sur l’infiniment petit… peut-être que ça peut venir de ce côté-là, d’un univers encore plus petit que les atomes, les électrons, les quarks… »

S’il a très peu écrit sur le cinéma, Félix Guattari était cinéphile et s’intéressait aux enjeux politiques du cinéma populaire en tant que machine de subjectivation. Si bien qu’il désira passer à l’action, derrière la caméra, en s’essayant à la réalisation d’un film de science-fiction.

Guattari travailla sur le scénario d’Un amour d’UIQ (UIQ pour Univers Infra Quark), initialement avec le cinéaste américain Robert Kramer, de 1980 à 1987 ; mais alors que le scénario fut soumis à Michael Philipps, le producteur Hollywoodien de Rencontres du 3ème type, le film ne fut jamais tourné… Influencé à la fois par son travail clinique, son engagement dans la politique radicale, sa passion pour les bandes dessinées, les radios libres et les films de science-fiction, Un amour d’UIQ offre un prototype d’un cinéma populaire subversif. Un cinéma qui brouille les codes sémiotiques usagés, en construisant un champ d’affects impersonnels et trans-personnels, ainsi que des devenirs mineurs.

Entre documentaire, fiction et essai, au travers du déploiement d'archives filmiques et sonores qui se mêlent dans une série de fabulations, In search of UIQ explore ce que le cinéma de l'infra quark guattarien aurait dû être (et pourrait encore devenir) en observant ses relations avec les transformations sociales et politiques les plus marquantes de notre époque depuis les luttes autonomistes jusqu'à l'encodage digital.




"Un amour d'UIQ est un film qui vacille entre conditionnel passé et future antérieur, générant une perception gazeuse, faite de molécules floues, mutantes, comme on pourrait imaginer le personnage d'UIQ même. Le scénario occupe une zone d'indiscernabilité, il est abouti mais n'a pas été filmé. Il est resté dans une "boite noire", sans être révélé, pendant vingt-cinq ans. Son histoire témoigne d'un accident, une catastrophe qui n'a pas eu lieu. On a des indices tangibles, des traces, des cicatrices même, mais pas de cadavre. Les limbes qui l'enveloppent font partie de sa dimension d'inachivé, une qualité apte à susciter pour celui qui le lit une sensation de vertige et d'apesanteur. Une absence de gravité bizarrement intense, faite de potentialités infiniment plastiques, mais qui nous pousse à imaginer la spécificité de telle scène, de tel lieu ou de tel visage, en leur restituant un poids mystérieux, un surplus de matière qui se cristallise parfois dans des images mentales venues de la mémoire du cinéma (de ce qui par ailleurs fut réalisé) et de ses lacunes."
(in Un amour d'UIQ - scénario pour un film qui manque, sous la direction de Graeme Thomson & Silvia Maglioni, Éditions Amsterdam, 2012)



Silvia Maglioni et Graeme Thomson sont cinéastes et artistes interdisciplinaires. Leur travail intègre la réalisation de films, d’expositions, d’événements, d’émissions radio expérimentales et de publications. Après Facs of Life (2009) et In search of UIQ, ils préparent un nouveau long-métrage, Disappear One.


http://cargocollective.com/terminal-beach

http://www.phantom-productions.org/
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Remerciements : Barbro Schultz Lundestam, Graeme Thomson, Silvia Maglioni, Benjamin Tiven, Sergio Oskman, Light Cone, Phantom Productions, Romaric Favre, Sylvain Mavel, le cinéma Utopia.