LE MOIS DU FILM DOCUMENTAIRE
NOVEMBRE 2013



FILMER L'AUTRE AMÉRIQUE
BIBLIOTHÈQUE MÉRIADECK
AUDITORIUM JEAN-JACQUES BEL
85 Cours Maréchal Juin


VENDREDI 29 NOVEMBRE
CARTE BLANCHE À L'ASSOCIATION MONOQUINI


ENTRÉE LIBRE

18h



John Gianvito
PROFIT MOTIVE AND THE WHISPERING WIND

USA, 2007, couleur, vostf, 58 min.

Sous l'influence de l'historien Howard Zinn (auteur d'Une histoire populaire des États-Unis, Éditions Agone, 2002), Profit Motive and the Whispering Wind élève un hymne visuel à l'histoire des luttes émancipatrices sur le territoire américain, depuis les résistances indiennes jusqu'aux manifestations contre la guerre en Irak. John Gianvito a parcouru, trois étés durant, les bourgades, les petites routes, les lieux de commémoration de ces luttes, souvent méconnues des américains eux-mêmes.

"De l'été 2004 à l'automne 2006, j'ai parcouru les États-Unis sur les traces du passé de l'Amérique. Au final, ce voyage m'a permis non seulement d'approfondir ma connaissance de cette Histoire, mais aussi de la rendre tangible et de lui redonner vie - non sans une certaine ironie, puisque j'ai passé la plupart de mon temps dans les cimetières. Je voulais "écrire" un poème à partir de ces lieux de commémoration, et je me suis rappelé cette fameuse citation de Faulkner : "Le passé n'est jamais mort : il n'est même jamais passé" (...) Nous sommes en réalité entourés par les morts. Et ils ont des choses à nous dire ". (John Gianvito)
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"En 2004, écoeuré par la politique américaine et l’invasion de l’Irak, Gianvito cherche des raisons d’espérer dans l’histoire de l’autre Amérique : celle des luttes d’émancipations sociales, raciales, sexuelles. Il relit la fameuse Histoire populaire de l’Amérique, de l’activiste de gauche et historien Howard Zinn, et réalise Profit Motive and the Whispering Wind. Pendant trois étés, Gianvito sillonne l’Amérique, seul avec sa Bolex, et filme les pierres tombales des héros de cette histoire, les plaques commémoratives de certains de ses épisodes. Il recueille les traces d’une histoire minoritaire, oubliée. Pas de voix off, juste les dates et les phrases inscrites dans la pierre, qui alternent au montage avec des plans de nature, vent traversant des paysages sans histoire. Ce film bouleversant, dans la lignée des Straub et Huillet de Fortini/Cani ou Lothringen !, est une réussite majeure de cinéma historien, tissant et opposant passé et présent dans le même mouvement, au fil du vent. Les tissant, car le vent murmure la continuité des luttes, du silence des pierres jusqu’au bruit des manifestations sur lequel s’achève le film. Les opposants, car l’amnésie du présent, l’effacement permanent du temps qui passe comme le vent s’oppose dans chaque plan aux traces inscrites dans la pierre. Peu de cinéastes incarnent comme Gianvito l’historien matérialiste appelé de ses vœux par Walter Benjamin en pleine Deuxième Guerre mondiale : l’historien-monteur, capable, au nom des vaincus et des oubliés de l’histoire dominante, de « saisir la constellation que sa propre époque forme avec telle époque antérieure »."

Cyril Neyrat
Programme Cinéma du Réel 2012

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"Parfois, surgit une œuvre qui nous rassure sur les capacités du cinéma à lutter sur tous les fronts à la fois et à accéder à une plénitude inouïe : radicalité formelle, exigence activiste, autonomie spéculative. Le travail conduit par John Gianvito non seulement accomplit de tels idéaux mais ne cesse d'intensifier ses interventions sur le terrain, en autant de ripostes filmiques à l'impérialisme de son pays.
John Gianvito : "Dans un massacre, il n'existe pas de place décente", dit la chanson de Leonard Cohen, "The Captain". Vivre, comme c'est mon cas, dans la société militaire la plus agressive de la planète oblige à mesurer ses propres responsabilités quant à l'action des États-Unis sur son sol et dans le monde. La neutralité n'est pas une option."

Formé notamment par Richard Leacock, influencé par Jean Eustache et Philippe Garrel, admirateur d'Andrei Tarkovsky à qui il a consacré un recueil, John Gianvito multiplie les expérimentations de nature documentaire ou fictionnelle, solitaires ou collectives. Ancien conservateur et programmateur à l'Harvard Film Archive ainsi qu'au MIT, professeur en production et réalisation à l'Université du Massachusetts - autant dire que, lorsqu'il réalise une image, John Gianvito sait dans quel contexte l'inscrire, dans quelles sources artistiques et sociales elle peut puiser ses forces. (...)
Dans la bataille qui fait rage entre les médias libres et les conglomérats, au rebours des discours usuels sur l'inefficacité de l'art, il situe avec précision les responsabilités du cinéma : inviter à une "contemplation productive", transmettre la mémoire des luttes, raffermir le courage de ceux qui combattent, enflammer les débats.
"Si les films étaient incapables de susciter le moindre changement, pourquoi seraient-ils si nombreux à se voir censurés dans tant de pays ? Pourquoi tant d'efforts concertés pour bloquer Le Sel de la Terre à chaque stade de sa fabrication ? Pourquoi faire "disparaître" Raymundo Gleyser ? Pourquoi maintenir Jafar Panahi en résidence surveillée ? Pourquoi Dhondup Wangchen, cinéaste tibétain, serait-il emprisonné et torturé ?"
Dans My Heart Swims in Blood, l'épisode réalisé par John Gianvito pour Far From Afghanistan, la chouette de Minerve ne s'envole pas, de nuit, de jour elle reste là, en alerte, obstinément.

Nicole Brenez
Cahiers du Cinéma, Mars 2012



Filmographie de John Gianvito :
Schooldeath, film Super 8 de fin d'étude
The Direct Approach, 1978
The Flower of Pain, 1983
Address Unknown, 1986
What Nobody Saw, 1990
The Mad Song of Fernanda Hussein, 2001
Puncture Wounds, 2002
Profit Motive and the Whispering Wind, 2007
Vapor Trail (Clark), 2010
Far From Afghanistan, film collectif, 2012
Wake (Subik), en cours




Merci à John Gianvito et à Documentaire sur grand écran

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19h30

Photo © Eileen Molony

Focus : Tom Palazzolo

Depuis plus de quarante ans, Tom Palazzolo réalise des films dans sa ville de Chicago, où il capte la vie locale dans le style du cinéma-vérité. Contrairement à la plupart des cinéastes provinciaux dans les années 60, il a choisi de ne pas partir à New-York ou Los Angeles pour y faire carrière, trouvant en Chicago le lieu de prédilection pour y traiter les sujets les plus divers - les gens de cirque
(The tatooed lady of Riverview), un pique-nique du troisième âge (Enjoy Yourself--It's Later Than You Think), un salon de massage (Hot Nasties), une manifestation pacifiste (Love It/Leave It), un défilé patriotique (America's in Real Trouble), un épicier irrascible (Jerry's), une dot de mariage dans la communauté polonaise (Ricky and Rocky), une exploration d'un célèbre marché aux puces
(At Maxwell Street), ou tout autre rituel pratiqué par l'américain moyen.
Son projet rejoint en quelque sorte celui de la photographe Diane Arbus, "American rites, manners and customs", où elle se proposait de capter les cérémonies notables de ce temps : "ils sont nos symptomes et nos monuments ; je veux les immortaliser, car ce qui est cérémoniel, curieux ou banal deviendra légendaire", écrivait-elle.
Les films de Tom Palazzolo ont été à la fois salués et critiqués pour leur liberté formelle, leur style abrupt et parfois décousu, mais ce sont des essais indépendants, hors circuit, qui témoignent indiscutablement d'un sens aigü de l'observation et d'un humour souvent grinçant. Formé à la School of the Art Institute, sa filmographie pléthorique s'accompagne d'une démarche reconnue en tant que photographe (rues et gens de Chicago) et peintre à la palette acide, revisitant les classiques de l'art au travers des figures iconiques de la culture populaire américaine.
Nous lui rendons hommage - le premier en France - au travers d'une sélection de quelques uns de ses films les plus significatifs.





O
(1967 / 10 min. 45)
D'une collusion d'images de fêtes foraines, de jubilés et de défilés, de courses automobiles et de spectacles de cirque, Tom Palazzolo compose un film de jeunesse vertigineux et presque hallucinatoire.


'68 CONVENTION
(1968 / 11 min. 30)
LOVE IT / LEAVE IT
(1971 / 14 min.)
Au cours des années 60, Chicago était devenu le théâtre des luttes pour le changement social, pour la défense des droits civiques et la fin de la guerre au Vietnam. Les militants, parmi lesquels les Black Panthers, tentaient alors de redéfinir la place des Noirs dans la société américaine. Tom Palazzolo fut l'un des documentaristes, avec le Film Group notamment, a capter caméra à la main la ferveur et la complexité de cette époque. Palazzolo se distingue par un montage frénétique et un jeu de superpositions qui inscrivent son approche documentaire dans la syntaxe du cinéma expérimental américain alors en plein explosion. Le montage ironique atteint son apogée dans LOVE IT/LEAVE IT (signé sous le nom de "Tom Chicago"), où le grotesque et la laideur le disputent à la liberté des mœurs américaines. L' Amérique devient ici un freak show permanent, entre rêves et cauchemars de consommation et de divertissement, à l’apogée de la contestation pacifiste. Rumeur médiatique ou ritournelle lancinante composent la bande son concrète de Ray Wilding White.


MARQUETTE PARK
co-réalisation : Mark Rance
(1976 / vo non stf / 23 min.)
Sélectionné au festival de Cannes, 1977.
Si selon le philosophe Gilbert Simondon, le stade le plus complet de la culture consiste à reconnaître et accepter "l'autre", l'étranger comme un être humain, la culture commune, dans sa trivialité, se laisse souvent emporter par la xénophobie primitive.
MARQUETTE PARK capte des événements où se révèlent les instincts les plus basiques, témoignant de la haine raciale la plus viscérale.
Les mouvements néo-nazis, dans le sillage du Ku Klux Klan, sont une réalité profondément ancrée dans la société américaine - elle prend dans ce reportage une forme particulièrement dérangeante, car il ne s'agit pas ici d'une parodie à la Mel Brooks, mais bien de l'existence extrêmement vivace d'un groupuscule paradant en chemise brune et brassard à croix gammée, distribuant des tee-shirts White Power à ses jeunes sympathisants.
À l'origine des événements filmés du côté de la "ligne blanche", une manifestation pacifique pour les droits civiques des Noirs à Marquette Park, un quartier à la population blanche où siège le NSPA (National Socialist Party of America), révulsé à l'idée que des noirs pénètrent ce périmètre - ce "territoire".
Frank Collins, président du NSPA et führer d'opérette, orchestre une contre-manifestation avec le soutien décomplexé de la population locale. La police s'interpose et empêche que la confrontation, forcément violente, n'ait lieu.
Documentaire polémique s'il en est, Tom Palazzolo et Mark Rance ont choisi de se positionner du point de vue réactionnaire et de récolter la parole d'une frange de la population qui revendique l'exclusion des Noirs dans la société américaine. Les auteurs, dont l'engagement et la présence dans les luttes citoyennes dans les années 60 n'est plus à prouver, ont paradoxalement emprunté la voie périlleuse du camp de la haine raciale pour tenter d'y prélever la parole qui y a cours.


VIVIAN MAIER, PHOTOGRAPHER
(2011 / 12 min.)
Un des derniers films en date de Tom Palazzolo est un touchant portrait posthume de Vivian Maier, photographe d'origine franco-autrichienne qui a vécu la plus grande partie de sa vie à Chicago et dont le travail considérable a été découvert après sa mort en 2007, la consacrant comme une figure majeure d'une photographie qui trouve ses sujets dans la solitude et l'agitation de la grande ville.



Durée de la séance : environ 65 min.