DIMANCHE 7 AVRIL 2024 — 20H15
Cinéma Utopia
5 Place Camille Jullian, Bordeaux
Tarif : 8€ ou Ticket abonnement

VAXDOCKAN
(The Doll / Le mannequin de cire)
Un film de Arne Mattsson
Suède / 1962 / n&b / 1h35 / VOSTFR
Scénario de Lars Forssell et Eva Seeberg, d’après un sujet de Stig Dagerman.

Avec Avec Per Oscarsson, Gio Petré, Tor Isedal, Elsa Prawitz, Bengt Eklund, Malou…

— Dans une petite ville suédoise, Lundgren, un jeune homme solitaire et mélancolique, exerce l’emploi de gardien de nuit. Lors d’une de ses rondes dans la réserve d’un magasin, il tombe sous le charme d’un mannequin de vitrine. Il le subtilise et le ramène secrètement dans la mansarde qu’il occupe dans une vieille pension de famille. Bientôt, la figure de cire s’éveille à la vie…

Dans les années 60, le cinéma suédois se résume bien souvent en dehors de ses frontières au seul nom, prestigieux certes, d’Ingmar Bergman, faisant oublier qu’après un premier «Âge d’or » (celui du muet), la Suède a aussi eu sa « nouvelle vague » sous l’impulsion de jeunes auteurs, alors que des réalisateurs chevronnés se réinventaient de façon inattendue. C’est le cas d’Arne Mattsson, qui a déjà près de vingt ans de carrière quand il entreprend le tournage de VAXDOCKAN. « Petit maitre », dans le sens honorifique du terme, c’est un touche à tout prolifique qui s’est fait notamment une spécialité des énigmes policières, avec la série des HillmanThriller, fort populaires en Suède à la fin des années 50, chacun des titres portant une couleur distincte et dont MANNEQUIN EN ROUGE (1958) préfigure SIX FEMMES POUR L'ASSASSIN de Mario Bava, l’acte de naissance cinématographique du giallo. On retrouve dans nombre de films de Mattsson la figure du mannequin et on en déduit que le cinéaste éprouvait une attraction évidente pour ces formes sans chair.

L’idée de VAXDOCKAN, empruntée au romancier Stig Dagerman, s’inspire très librement, en la modernisant, d’une nouvelle fantastique d’E.T.A. Hoffman (Le marchand de sable, 1817) qui, en décrivant la fascination exercée par une automate sur un jeune homme qui en tombe amoureux et y perd la raison, a instauré la notion d’ "inquiétante étrangeté" - ou "inquiétant familier" pour une traduction plus fidèle du terme Unheimliche - analysée par Freud dans un texte célèbre et dont le Surréalisme s’est largement réclamé. Dagerman s’étant suicidé en 1954, l’écrivain Lars Forssell et la scénariste Eva Seeberg développèrent le schéma initial et l’adaptèrent pour l’écran.
La poupée, le mannequin, sont des figures anthropomorphes dont le cinéma fantastique s’est régulièrement emparé pour signifier une relation avec une présence non-humaine et ambiguë comme symbole du trouble de l’identité. L’illusion de la vie et d’une volonté propre confère à l’objet un degré d’existence fluctuant et indéterminé, qui peut être aussi séduisant qu’inquiétant. Voire dangereux si cet objet est véritablement possédé et malfaisant (cf Chucky et autre Puppet Master). Dans le cas présent, le titre "Vaxdockan" se traduit littéralement par "poupée de cire" plutôt que "mannequin", accentuant la bizarrerie d’un homme adulte qui se livre passionnément à un « jeu d’enfant » et accorde toute son attention à une figure inerte aux dimensions humaines. Ce qui relie le film à la critique du modèle de vie bourgeoise dans certaines œuvres à tendance misogyne des années 70, où la femme se voit déclassée au profit d’un idéal muet et passif, en plastique ou en silicone (NO ES BUENO QUE EL HOMBRE ESTÉ SOLO de Pedro Olea, GRANDEUR NATURE de Luis Garcia Berlanga).

À la fois statue palpitante et vivante pétrifiée, tantôt figée dans une rigidité cadavérique, tantôt agitée de tics hypnotiques, Gio Petré prête voix à cette troublante image de femme au teint livide. Quant à Per Oscarsson, futur prix d’interprétation à Cannes pour son rôle de Pontus dans LA FAIM, de Henning Carlsen (d’après le roman de Knut Hamsun), son interprétation d’un homme tourmenté qui sombre dans la folie est totalement convaincante.

Le trait dominant de cette histoire est l’expression d’une forme de fétichisme comme substitut à la solitude, une névrose qui prend la forme d’un rêve halluciné. Habillée et déshabillée, disponible dans sa nudité et promise à la distraction, prête à « fonctionner », la poupée en retour se joue avec ingénuité de l’homme. Et quoiqu’elle ne soit pas plantée d’épingles, l’envoutement opère pleinement, en ce lieu détaché des conventions humaines que se partagent Eros et Thanatos.

— Bertrand Grimault

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Un événement proposé par l'association Monoquini en partenariat avec le Cinéma Utopia, avec le concours de Kubb Super 8 et du Swedish Film Institute. Merci à Rickards Gramfors et Kajsa Hedström.

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